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LES BELLINI.

Orient ne l’émeut guère ; il en rapporte quelques détails pittoresques, mais sa vision des hommes et des choses n’en est pas modifiée. Le document relatif à la restauration de la décoration de la Scuola di San Marco est significatif. Gentile se déclare poussé à accomplir cette œuvre, non par amour du gain, mais par inspiration « plus divine qu’humaine » et par la piété que lui inspire la mémoire de son père.

Giovanni, au contraire, ne cesse, au cours de sa longue carrière, de chercher sa voie ou de perfectionner ses procédés. Il est ondoyant et divers, subissant fortement les influences auxquelles il se trouve soumis, mantegnesque avec Mantegna, antonellesque avec Antonello et Alvise Vivarini, giorgionesque avec Giorgione et Titien. Il change de style, en cours de route, comme on change de chevaux à un relais, pour aller plus vite. Il est, au début de sa carrière, plus mystique que Jacopo et que Gentile, et la femme finit pourtant par transparaître si clairement, sous ses Madones, qu’on a pu les classer d’après les modèles qui se sont succédé dans son atelier. Il ne sert pas la tradition, il la plie à son caprice sans vouloir s’en détacher. C’est un type unique dans l’art, un type intermédiaire entre le xv c et le xvie siècle, entre le style primitif et le style renaissant.

Faut-il s’étonner que ce génie souple et brillant ait tôt fait d’éclipser l’art sobre et consciencieux de Gentile ? Il est pourtant une chose que, pour autant que nous sachions, Giovanni ne possédait pas à l’égal de son frère : le talent de conter une légende. À ce point de vue, Carpaccio se révèle,