Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/30

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geassent des êtres faibles et sans défense ? Quelle féroce grandeur trouvaient-ils à soulever tout un peuple pour se venger d’une femme ? Que lui restait-il de son pouvoir passé ? Le 10 août n’avait-il pas déchiré sur son front le bandeau royal ? Elle était captive ; elle était veuve ; elle tremblait pour ses enfans ! Dans ces juges qui outragent à la fois la pudeur et la nature ; dans ce peuple dont les plus vils rebuts poursuivent de cris forcenés la victime jusqu’au pied de l’échafaud, qui reconnaîtrait ces Français affables, aimans, sensibles, généreux ? Non, de tous les forfaits qui souillèrent si malheureusement la révolution, aucun ne fait mieux connaître à quel point l’esprit de parti, quand il a fermenté dans les cœurs les plus corrompus, peut dénaturer le caractère d’une nation.

La nouvelle de ce coup affreux vint frapper, dans la retraite obscure qu’elle avait choisie, la femme qui pleurait le plus amèrement les malheurs de sa bienfaitrice. Madame Campan, qui n’avait pu partager la captivité de la reine, s’attendait d’un moment à l’autre à partager son sort. Échappée comme par miracle au fer des Marseillais, repoussée par Pétion, quand elle implorait la faveur d’être enfermée au Temple, dénoncée, poursuivie par Robespierre, devenue, par la confiance entière du monarque et de la reine, dépositaire des papiers les plus importans, elle était allée cacher son secret et sa douleur à Coubertin, dans la vallée de Chevreuse. Madame Auguié, sa sœur, venait de se donner la mort, au moment même de son arrestation[1]. L’échafaud attendait

  1. L’amour maternel l’emporta sur ses sentimens religieux : elle voulut conserver les débris de sa fortune à ses enfans. Un jour plus