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On attribua la vocation de madame Louise à différens motifs : on eut l’injustice d’en supposer un dans le déplaisir d’être, pour le rang, la dernière des princesses. Je crois avoir pénétré la véritable cause.

Son ame était élevée, elle aimait les grandes choses ; il lui était souvent arrivé d’interrompre ma lecture pour s’écrier : Voilà qui est beau ! voilà qui est noble ! Elle ne pouvait faire qu’une seule

    avec calme et réflexion, il faut une ame peu commune et une véritable philosophie. Et quelle abdication que celle de la fille d’un souverain, d’un roi de France, quittant, sans retour, le palais de Versailles, pour habiter, jusqu’au tombeau, une cellule !… Mon imagination me présentait tous les détails de ce sacrifice, et je ne pouvais concevoir qu’une personne de trente-cinq ans, élevée dans la pompe et dans la mollesse, pût supporter le genre de vie de ces austères recluses. Ces pensées m’occupaient sur la route de Saint-Denis, et je suis entrée avec émotion dans le parloir des Carmélites. Un instant après, le rideau de la grille a été tiré, et madame Louise a paru. Je ne puis exprimer la surprise que j’ai éprouvée en jetant les yeux sur elle. Madame Louise, qui était si maigre et si pâle, est extrêmement engraissée ; elle a le teint le plus frais, et les couleurs très-vives… Ô paix de l’ame ! doux accord des opinions et des sentimens avec les actions, la conduite et le genre de vie ! C’est vous qui formez le bonheur ; c’est vous qui donnez cette sérénité céleste qui maintient l’équilibre de nos forces, qui conserve le mouvement égal et salutaire des ressorts de notre existence ! Lorsque rien de ce qu’on voit et de ce qu’on entend ne peut blesser et contrarier, que tout ce qui nous entoure est en harmonie avec nous, que nulle discordance, nulle opposition, ne trouble le calme de nos pensées, que tout doit fixer notre imagination et nos regards sur l’objet qui nous touche et sur le but vers lequel nous courons ; lorsqu’enfin l’exemple universel nous soutient dans notre marche, n’est-on