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« Je puis donc le voir aujourd’hui ? » dit-elle. À l’instant elle se lève, passe un déshabillé et le suit. Conduite devant ses juges, le greffier lui prononce son arrêt. L’étonnement, la frayeur, la rage, le désespoir, s’emparent tout-à-coup de son ame, et la mettent dans un état de convulsions difficile à peindre. Elle n’a pas la force d’entendre d’un bout à l’autre la lecture qu’on lui fait : elle se roule à terre, pousse des hurlemens affreux ; on a toutes les peines du monde à la transporter dans la cour du Palais, pour lui faire subir sa condamnation. Il n’était que six heures du matin ; peu de personnes furent témoins de ce châtiment.

» Aussitôt que la comtesse aperçut les instrumens de son supplice, elle saisit un des exécuteurs au collet, lui mordit les mains de manière à emporter la pièce, tomba à terre, agitée de convulsions plus violentes que celles qu’elle venait d’avoir. Il fallut déchirer ses habits pour lui imprimer, tant bien que mal, le fer chaud sur les épaules. Ses cris et ses imprécations redoublèrent : on la porta dans un fiacre, et on la conduisit à l’Hôpital.

» Madame de Lamotte trouva le moyen de ne rester que dix mois à l’Hôpital. Elle parvint à s’en évader, soit qu’elle eût gagné quelque sœur de la maison, ou que le gouvernement facilitât sa fuite. Cette dernière assertion pourrait être fondée, s’il était vrai que l’on consentit à son évasion afin d’empêcher M. de Lamotte d’imprimer à Londres des Pièces dont on craignait la publicité, et qu’il menaçait, dit-on, de mettre au jour, si on ne lui rendait son épouse.

» Quoi qu’il en soit, on fit un calembourg lors de la subite disparition de madame de Lamotte, qui montre qu’on ne pensait guère mieux de la conduite à venir de la comtesse de Lamotte, que de celle qu’elle avait précédemment tenue. On prétend que la sœur, qui lui ménagea sa sortie, lui dit en la quittant : « Adieu, Madame, prenez-garde de vous faire remarquer. » (Anecdotes du règne de Louis XVI, tome Ier.)