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cabinet intérieur. Une sous-gouvernante me demanda si elle pouvait suivre M. le dauphin ; je lui répondis que la reine n’avait donné aucun ordre qui pût l’en empêcher, et nous nous rendîmes chez la reine qui attendait le prince pour le faire paraître sur le balcon.

Cette douloureuse commission exécutée, je descendis dans les cours, où je me mêlai parmi la foule. J’entendis mille vociférations : il était aisé de juger, à la différence entre le langage et le vêtement de certaines gens, qu’il y en avait de déguisés. Une femme, ayant un voile de dentelle noire baissé sur son visage, m’arrêta avec assez de violence par le bras, et me dit, en m’appelant par mon nom : « Je vous connais très-bien, dites à votre reine qu’elle ne se mêle plus de nous gouverner ; qu’elle laisse son mari et nos bons états-généraux faire le bonheur du peuple. » Au même instant, un homme vêtu comme un fort de la halle, le chapeau rabattu sur les yeux, me saisit par l’autre bras, et me dit : « Oui, oui, répétez-lui souvent qu’il n’en sera pas de ces états-ci comme des autres, qui n’ont rien produit de bon pour le peuple ; que la nation est trop éclairée en 1789, pour n’en pas tirer un meilleur parti, et qu’il n’y aura pas à présent de député du tiers prononçant un discours un genou en terre ; dites-lui bien cela, entendez-vous ? » J’étais saisie de frayeur ; la reine parut alors sur son balcon. « Ah ! dit la femme voilée, la