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qu’il fallait que chacun retournât chez soi ; que les réunions devaient cesser dans le moment d’une crise aussi affreuse. Il avait fait avancer une chaise pour ma mère ; elle me plaça sur ses genoux. Nous demeurions dans l’avenue de Paris, et tout le temps de notre course, j’entendais sur les trottoirs de cette avenue, des pleurs, des sanglots. Enfin, je vis arrêter un homme : c’était un huissier de la chambre du roi, qui était devenu fou et qui criait : « Oui, je les connais, ces gueux, ces scélérats ! » Notre chaise fut arrêtée dans cette mêlée : ma mère connaissait l’homme désolé que l’on venait de saisir ; elle le nomma au cavalier de maréchaussée qui l’arrêtait. On se contenta de conduire ce fidèle serviteur à l’hôtel des gendarmes, qui était alors dans l’avenue. Dans les temps de calamités ou d’événemens publics, les moindres imprudences sont funestes. Quand le peuple prend part à une opinion ou à un fait, il faut craindre de le heurter et même de l’inquiéter. Les délations ne sont plus alors le résultat d’une police organisée, et les châtimens n’appartiennent plus à l’impartialité de la justice. À l’époque dont je parle, l’amour pour le souverain était une religion ; et cet événement de l’assassinat de Louis XV amena une foule d’arrestations non motivées[1]. M. de La Serre, alors gouver-

  1. Louis XV était encore aimé à cette époque. Soulavie qui a composé des Mémoires sur la cour de France, pendant la