Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/230

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sévère. On commença à ramer paisiblement ; et remontant la rivière, on alla débarquer dans une jolie prairie. On revint à pied, et dans un petit temple où l’on s’arrêta, le colonel proposa à la société du bateau de s’arranger pour n’être pas séparée à table. Je n’ai pas à me reprocher d’avoir accepté, et mes compagnes seules prirent cet engagement ; mais, sans que je puisse dire comment cela se fit, il se trouva, à l’instant du dîner, parfaitement exécuté. On remarqua cette irrésistible sympathie qui porte la jeunesse à se réunir ; et, pendant tout le dîner, le côté où nous étions fut appelé le côté de la jeunesse. Après le café, la femme du préfet reprit sa place au piano pour y jouer des contre-danses et des valses. Le colonel m’engagea à danser ; les aides-de-camp invitèrent les demoiselles Buret, et mon frère fit danser mademoiselle de Mirbot. Ce fut la première politesse qu’on lui fit de la journée, car nous n’avions songé à elle que pour la surnommer la silencieuse ; mais comment aurait-elle pu parler ? Elle paraît timide, et nous ne lui avions rien dit. La journée avait commencé fort joyeusement, elle finit de même, comme tu peux le voir ; nous nous séparâmes avec beaucoup de regrets de part et d’autre. Le colonel me donna la main pour remonter en carriole, et je m’en allais toute satisfaite quand je vis auprès de la portière mon oncle qui m’attendait pour la refermer : je le regardai ; je lui trouvai un air grave qui m’inquiéta ; je voulus lui parler ; il me fit signe de monter, et me fixa avec un regard si