Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/346

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donnait quelquefois adroitement une distraction, pour avoir droit d’ignorer un propos qu’elle ne pouvait ni approuver décemment, ni relever sans trop humilier la personne à laquelle il avait échappé. D’autres fois, prévoyant qu’une phrase, que quelqu’un avait commencée, allait se terminer par une médisance ou une calomnie, elle prenait la parole pour amener un sens tout différent, brisant ainsi le trait avant qu’il eût fait sa blessure. C’était encore une vraie satisfaction pour elle, quand elle avait pu épargner à quelqu’un la plus légère indiscrétion de la langue ; et sa présence d’esprit servait en cela merveilleusement son cœur. Le duc de Lorraine, obligé à faire hommage au roi de France du duché de Bar, vint à Versailles pour cette cérémonie, gardant le plus profond incognito, sous le nom de duc de Blamont. Un jour qu’il se trouvait au dîner de la reine, il entreprit un récit qui le conduisait, sans qu’il y songeât, à trahir son secret en nommant la ville de Nancy sa capitale. Il avait déjà dit : « Quand je fus arrivé à ...... » lorsque la réflexion lui vint et l’obligea de s’arrêter. La reine, ne lui laissant que le temps de tousser, ajouta : « À Blamont, sans doute ? — Oui, Madame ? » reprit le prince en continuant son récit…

» Quelquefois la princesse cherchait elle-même l’occasion de marquer aussi ses bontés aux personnes les plus simples. Charmée quand elle pouvait leur rendre quelque petit service, elle jouissait de tout le plaisir qu’elle leur procurait. Se trouvant un jour à Marly, dans la belle saison, elle voit passer sous sa fenêtre une fille de Saint-Vincent, elle l’appelle : « D’où venez-vous si matin, ma sœur ? — De Triel, Madame, lui répondit la religieuse sans la connaître. — Vous avez déjà bien fait du chemin, vous en reste-t-il encore beaucoup à faire ? — Je comptais aller jusqu’à Versailles, mais peut-être ne passerai-je pas Marly, parce que je vois que la cour y est. — Vous avez donc aussi des affaires à la cour ? — Mes affaires sont celles de notre hôpital, qui est fort pauvre. J’ai ouï dire qu’on avait confisqué des indiennes, et que M. le contrôleur-général en faisait distribuer à des hôpitaux : je désirerais bien qu’on