Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/349

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idées ; mais, lorsque ce prince paraissait désirer ses conseils, elle ne lui en donnait que d’utiles à sa gloire et au bien de son royaume. C’est ainsi, par exemple, qu’elle l’exhorta plus d’une fois à être plus décisif dans son conseil ; qu’elle lui fit remarquer que de grandes affaires avaient échoué, parce que, se défiant trop de ses lumières, il avait préféré les vues particulières de gens qui le trompaient, à son propre jugement qui lui disait vrai. Louis XV, dans une occasion, lui parlait avec complaisance du succès qu’avait eu un acte d’autorité qu’il venait d’exercer : « Je n’en suis pas surprise, lui dit la reine : un roi n’est-il pas sûr de se faire aimer et d’être obéi quand il parle en roi, et qu’il agit en père ?… »

» Mais tout le bien qu’elle provoquait autour d’elle et celui qu’elle voyait en espérance dans l’héritier du trône, ne la consolaient point des maux de la religion, qui prenaient de jour en jour un caractère plus effrayant. Un des événemens qui affligèrent le plus sa piété pendant son séjour en France, ce fut la destruction des jésuites. Elle avait toujours singulièrement affectionné ces religieux. Ils n’eussent été que malheureux, qu’elle se serait efforcée de les secourir : mais elle les croyait encore, comme le dauphin son fils, utiles à la religion et nécessaires à l’éducation chrétienne de la jeunesse dans nos provinces. Aussi épuisa-t-elle tous les moyens humains pour conjurer l’orage qui les menaçait. Plus active à les servir que M. de Beaumont lui-même, elle eût voulu que ce prélat eût publié plus tôt la lettre pastorale qu’il donna pour leur justification, pièce la plus propre à démontrer leur innocence à tout tribunal où leurs ennemis n’auraient pas siégé comme juges. Dans le temps que cette affaire s’agitait, elle fit un jour appeler le duc de Choiseul, et lui dit : « Vous savez, Monsieur, que je ne me mêle point d’affaires, et que je ne vous importune pas par mes demandes ; c’est ce qui me donne la confiance que vous ne me refuserez pas une chose que je crois bien juste, et à laquelle est attaché le bonheur de ma vie : promettez-moi que l’affaire des jésuites n’ira pas jusqu’à leur destruction. — Sa Majesté,