Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/55

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La dauphine, sa femme, fut pénétrée de la plus vive douleur. Cependant elle donna à ses regrets un caractère de désespoir immodéré, qui fit généralement soupçonner que la perte de la couronne entrait pour beaucoup dans la cause de ses regrets. Elle refusa long-temps de manger assez pour subsister ; elle entretenait ses larmes par des portraits du dauphin, placés dans tous les endroits solitaires de son appartement. Elle le fit représenter pâle et près d’expirer, et ce tableau était

    les plus heureuses qualités de l’esprit et de l’ame, l’éducation de ses enfans auxquels il sut transmettre sa bonté, sa piété, et ses lumières, consolaient le dauphin délaissé à la cour. Sa santé, long-temps florissante, avait subi depuis deux ans une altération manifeste. Il voulut, malgré sa langueur, se rendre à un camp de plaisance qu’on avait établi à Compiègne ; de-là il suivit le roi à Fontainebleau. Bientôt on le vit succomber à des fatigues que sa constitution affaiblie ne pouvait plus supporter.

    » Louis XV, qui n’avait pas voulu s’absenter de Fontainebleau pendant la maladie de son fils, fut vivement ému de sa mort, et surtout par la manière dont il l’apprit. Le duc de La Vauguyon vint présenter au roi l’aîné des princes, ses élèves ; et l’on annonça monsieur le dauphin. En voyant paraître son petit-fils, au lieu d’un fils qui pouvait si glorieusement le remplacer sur le trône, il se troubla et dit en soupirant : « Pauvre France ! un roi âgé de cinquante ans, et un dauphin de onze ! » Ce dauphin était Louis XVI. Cette douloureuse exclamation semble faire croire que Louis XV reconnaissait combien la monarchie était fortement ébranlée, et quels orages attendaient son petit-fils. »

    (Note de l’édit.)