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Page:Capelle - Heures de prison.djvu/320

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pentant, se refaisait doucereux et tendre, pour que je devinsse souriante et calme

Autant il avait enflé ses mots pour me gronder, autant pour m’adoucir il ouatait et emmiellait sa voix. De tyran, il n’aspirait plus qu’au rôle de victime. De despote, il devenait sujet. Il souriait à tout ce qui me passait par les nerfs. Il accédait à tout ce qui me montait dans la volonté. Nos raccommodements finissaient toujours, comme finissent les raccommodements de vieux père gâteur à vieille enfant gâtée, lui en se donnant tous les torts, moi en lui donnant raison ; lui, en ramassant les miettes égarées des biscuits, moi, en me frottant les joues, pour me donner une mine de dimanche.

Où est la Bruyère, pour peindre ce caractère antique, dans sa rude mais inépuisable bonté, et ce cœur tout ouvert, dans son adorable dévouement ?

Les jours de soleil, de bonne santé et de bonne humeur, M. *** passait son bras sous le mien, et nous arpentions en jasant les trois mètres carrés de ma cellule. Personne moins que lui n’aime à raconter ; mais il prenait plaisir à me laisser glaner dans son gerbier. Il aimait à m’en tendre lui rappeler des noms, des dates, des impressions mal effacées, des souvenirs mal éteints. Il voulait me faire deviner quelle avait été la nuance de ses rapports avec tels personnages marquants de son époque, avec tels hommes de talent, de science et d’esprit. Je voyais qu’il les avait abordés le plus souvent à leur mauvaise heure, et que les si ou les mais, les trop tôt ou les trop tard avaient mis leur embargo sur la plupart des projets de sa vie… Il me laissait filer tout à mon aise ce qu’il appelait mon roman. Puis, se frappant le front, et allumant, disait-il, sa lanterne, il en éclairait ma narration, et me montrait la vérité à côté des mirages de mon imagination.