Page:Carco - Au vent crispé du matin.djvu/30

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L’homme était ivre. Il tenait à la main son chapeau et se moquait des convenances. À ses côtés, la femme prenait de petits airs falots et balbutiants qui m’intriguaient.

Enfin, la conversation s’établit. Dans la lumière intense et sans cesse agitée des globes électriques, les lourdes voitures arrivaient qu’on déchargeait à même la chaussée. Des blouses et des casquettes rôdaient autour. D’autres, mélancoliquement, encombraient les comptoirs.

Nous prîmes à droite et, comme nous arrivions au boulevard de Sébastopol, l’homme brusquement me proposa de l’accompagner dans une guinguette où, disait-il, « un chanteur fait toujours de l’argent. » Je déclinai poliment l’offre. Il insista :

— Voyons… tant pis si je suis un crétin… mais je paie la voiture.

Et, de la voix, il arrêtait un fiacre endormi.

— Madame, ajoutait-il, nous accompagne…

Or, pas plus que moi, « Madame » ne se souciait de suivre l’ivrogne dans l’état où il se trouvait.

Ce double refus parut le contrarier.

— Mais, enfin, si je paie la voiture, répétait-il.

Il grogna, jura, s’emporta… Rien n’y fit. J’étais fatigué… Madame, « fallait qu’elle travaille… »

L’ivrogne alors nous écrasa de son mépris et, très cérémonieux :

— Par conséquent, mes enfants, je vous plaque. Mais, avant — on sait ce qu’on sait — que je vous présente : Monsieur, artiss’… Madame !…Cocher, place d’Italie ! »

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