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Le Cabaret

Les tables de bois noirci luisent avec les gobelets de cristal teinté, avec l’eau des carafes et le liquide obscur des bouteilles. Les cuillers donnent un éclat blanc et les glaces épaissies de cendre ont des clartés droites et nues qui s’enfoncent. Le cabaret s’endort. On entend le faubourg qui meurt difficilement : chaque rumeur, comme une belle Inconnue — pourtant familière — avance dans sa robe silencieuse de nuées. Magicienne experte à prolonger en nous l’impérieux malaise de sa beauté, nous la voyons qui abaisse vers nos fronts un sourire immobile. Elle disparaît dans les lignes de ce sourire. Ainsi la pierre, jetée dans un bassin profond, glisse entre les rides circulaires qu’elle provoque. C’est que l’ombre a gagné l’humble salle aux miroirs troubles : elle s’y déploie avec lenteur. Sa fantaisie décore la vitre à peine claire. Je saisis des spirales, des volutes, de longues chevelures qui s’ouvrent et se partagent. Cela se déchire sans heurt et l’on a cependant les nerfs brisés de sentir le bruit de soie qui jaillirait soudain. Le plafond descend peu à peu : il est mouvant et fabuleux. Sa lourde masse oscille, et, avec elle toute la maison feutrée de

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