Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 1.djvu/170

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considérons ensuite les résidences centrales du pouvoir à une époque plus rapprochée de nous, nous les rencontrons dans la farouche et sauvage Bretagne, encore habitée par un peuple à peine échappé à la barbarie, — à Dijon, — au pied des Alpes, — en Auvergne, naguère, si ce n’est même encore, à cette époque, « asile secret et assuré du crime, au milieu des rochers et des solitudes inaccessibles que la nature semble avoir destinés à servir de retraite aux bêtes fauves plutôt qu’à devenir le séjour d’êtres humains » — dans le Limousin, qui a donné tant de papes à l’Église, qu’à la longue, les cardinaux de ce pays pouvaient dicter, pour ainsi dire, les votes du conclave, et qui, encore aujourd’hui, est l’une des régions les moins fertiles de la France ou sur les flancs des Cévennes, où la littérature et l’industrie étaient très-avancées, à une époque où les terrains les plus fertiles du royaume restaient incultes[1]. Même encore maintenant, après tant de siècles écoulés, ses terrains les plus fertiles restent encore sans être drainés   ; l’empire est couvert dans toute son étendue de terrains marécageux, pour l’amendement desquels on invoque aujourd’hui l’assistance du gouvernement[2].

Si nous nous tournons ensuite vers la Belgique, nous voyons

  1. « Ces individus, habitant le pays situé entre la Méditerranée, le Rhône et la Garonne, pour la plupart vassaux du comte de Toulouse, surpassaient de beaucoup en civilisation, aux douzième et treizième siècles, toutes les autres parties de l’ancien territoire gaulois. On y faisait un plus grand commerce avec les ports de l’Orient (où la signature de leur comte avait plus de créait que le sceau du roi de France). Les villes de ce pays jouissaient de la constitution municipale et même avaient l’apparence extérieure des républiques italiennes…… Ils possédaient la littérature la plus raffinée de toute l’Europe, et leur idiome littéraire était classique en Italie et en Espagne. Chez eux, le christianisme, ardent et même exalté, ne consistait pas dans une foi implicite aux dogmes et dans l’observance, en quelque sorte machinale, des pratiques de l’église romaine…… Pour arrêter cette contagion intellectuelle, il ne fallait rien moins que frapper le peuple en masse, et anéantir l’ordre social d’où provenaient son indépendance d’esprit et sa civilisation. De là la croisade contre les Vaudois et les Albigeois, qui aboutit à l’incorporation de ces provinces au royaume de France, la plus désastreuse époque dans l’histoire des habitants de la France méridionale. La vieille civilisation de ces provinces, dit en continuant M. Thierry, reçut un coup mortel par leur réunion forcée à des pays bien moins avancés en culture intellectuelle, en industrie et en politesse. » (Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, par Augustin Thierry, t. IV, 4ème édit. Paris, J. Tessier, 1836.)
  2. Journal des Économistes. Novembre 1855, p. 210.