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d’harmonie, de sympathie, de neutralité, de partnership ou même d’équité de distribution. Comme elle ne contient en aucune manière l’idée de coopération ou d’organisation, le rapport avec la vie mutuelle et la santé des parties ne trouve point place parmi ses instincts[1]. Il s’ensuit que l’harmonie dans toutes les relations de so-

  1. L’exemple le plus remarquable de coopération à citer est : the Equitable Pioneers Society, la Société des Équitables travailleurs de Rochdale, en Angleterre, fondée il y a quatorze ans par une trentaine ou une quarantaine de pauvre et humées ouvriers, avec moins de 10 dollars en caisse et un revenu de deux pence par semaine payées par chaque actionnaire, — et ayant pour objet « l’avantage pécunier et l’amélioration de la condition sociale et domestique de ses membres. » De ce modèle point de départ, elle est arrivée à comprendre aujourd’hui sept départements distincts, et le capital actuel est de 75.000 dollars divisé en actions de 5 dollars. Sur ce capital, 18.000 dollars sont placés dans une usine dont ils sont propriétaires. Les pionniers ne font point de dettes et n’ont point fait de pertes, et, bien qu’ils aient fait pour 1.500.000 dollars d’affaires, ils n’ont jamais eu recours à l’huissier. La Société emploie directement et constamment une centaine de personnes, dont une douzaine pour le magasin seulement. Au-dessus de la boutique où se vendent toutes choses, il y a un cabinet de journaux que les membres fréquentent le soir et une bibliothèque circulante de 2.200 volumes choisis, où eux et leurs enfants viennent chercher des livres. Il y a foule de membres chaque soir à Toad-Lane, et le magasin a vendu pour 2.000 dollars en un seul jour. » Cette brillante activité commerciale, dit l’auteur de l’intéressant petit livre, n’est pas ce qui touche le plus, mais bien le nouvel et meilleur esprit qui anime ce négoce. Acheteur et vendeur traitent en amis, sans que l’un songe à surfaire et l’autre à se méfier, et Toad-Lane est dans la nuit du samedi aussi gai que Lowlher-Arcade à Londres et dix fois plus morale. Ces foules d’ouvriers, qui auparavant n’avaient jamais goûté d’une bonne nourriture, dont chaque mets était frelaté, dont les souliers prenaient l’eau sur-le-champ, dont les vestes gardaient une poussière du diable, dont les femmes portaient un calicot qu’elles ne pouvaient laver, achètent maintenant sur les marchés comme les millionnaires, et pour la bonne nature d’aliments, vivent comme des lords. Ils tissent leurs étoffes, font leurs souliers, cousent leurs habits, mondent leur propre blé. Ils achètent le meilleur sucre, le meilleur thé et moudent leur café. Ils tuent leur bétail, et les plus belles bêtes du pays traversent les rues de Rochdale pour être consommées par des tisseurs de flanelle et des savetiers. Est-ce la concurrence qui donne à ces pauvres gens ces avantages ? qui dira que leur caractère moral n’est pas amélioré par de telles influences ? Les teotalers preneurs de thé, de Rochdale, reconnaissent que ce magasin a fait plus d’hommes sobres depuis sa fondation, qu’ils ne sont parvenus à en faire dans le même laps de temps. Des maris qui n’avaient jamais su ce que c’est que d’être sans dettes, de pauvres femmes, qui depuis quarante ans n’avaient pas eu dans leurs poches six pence qui ne fussent grevées d’hypothèques, possèdent maintenant de petites épargnes qui suffiraient à leur faire bâtir un cottage et vont chaque semaine à leur propre marché avec de l’argent sonnant dans leur poche, et, dans ce marché, il n’y a ni méfiance ni tromperie, il n’y a ni frelatement ni deux prix. Toute l’atmosphère est honnête. Ceux qui servent n’y mettent ni acharnement, ni finesse, ni flatterie ; ils n’ont point intérêt à chicaner ; ils n’ont qu’un devoir à remplir : donner exactement le poids, la