Page:Carlyle - Les Héros, trad. Izoulet-Loubatières, 1888.djvu/17

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INTRODUCTION
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LE
CRÉPUSCULE DES DIEUX
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Aux éclipses de soleil, les sauvages se lamentent sur la mort de la lumière. Quand s’obscurcit l’idéal, nous, les civilisés, nous levons les bras au ciel en criant que Dieu est mort. Qui ne voit les générations futures sourire de nos effarements, comme nous sourions de l’angoisse des sauvages ?

Il est vrai pourtant que les éclipses du soleil ne durent que quelques minutes, tandis que les éclipses de l’idéal peuvent durer des siècles. Sans compter que la loi des évolutions astronomiques est autrement aisée à saisir que la loi de l’évolution sociale. Aussi ne nous étonnerons-nous pas trop, en fin de compte, de l’inquiétude, sinon de la désespérance, où se laissent aller de nos jours la plupart des hommes d’Occident. Aussi accueillerons-nous avec transport quiconque se croira en droit de prononcer une forte parole d’espoir, les prophétiques paroles de la certitude, de la foi.

Or tel est précisément le cas de Carlyle, ce héros de la pensée britannique contemporaine. On l’a appelé le grand Censeur de son siècle. Cette parole est fâcheuse, parce qu’elle crée un étrange malentendu. Qui dit censeur, contempteur, semble dire esprit chagrin, morose, désenchanté, pessimiste. Or, rien de plus faux, ici. Carlyle est un optimiste vigoureux, puissant. Seulement entendons-nous. Est-il satisfait du présent état de choses ? Loin de là. Il le déclare même odieux.