Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/114

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planer l’esprit des temps nouveaux, et le cœur dilaté y respirait l’air des grandes et prochaines justices. Jamais la liberté régulière ne fut en droit de se montrer plus fière d’elle-même, car jamais luttes n’avaient été plus fécondes et n’avaient coûté moins de larmes. Lorsque dans les tristes jours que nous traversons, il m’arrive de douter de l’efficacité des institutions libres, ma foi se retrempe à l’évocation de ces fortifiants souvenirs.

La vieille Angleterre était remuée jusque dans la couche de granit de ses country gentlemen par l’ébranlement sans exemple imprimé à l’île voisine. Un homme sut réunir dans un accord merveilleux la force révolutionnaire et la force du droit, l’audace du tribun et la subtilité du légiste. Il enseigna à ses compatriotes l’art d’abriter derrière de vieux statuts les innovations les plus hardies ; et par une association admirable de la piété avec le patriotisme, il parvint à inculquer à un peuple affamé un courage indomptable en même temps qu’une patience héroïque. L’association catholique, dont Daniel O’Connell était l’âme, et dont l’Irlande était le bras, donnait des ordres et levait des impôts, mieux obéie dans ses prescriptions qu’aucun gouvernement ne le fut jamais. Elle venait de faire un pas décisif en provoquant dans le comté de Clare l’élection du grand agitateur à une majorité considérable. Ce fut un événement immense et toute l’Europe le comprit. Cette élection, toutefois, était strictement légale, car les bills, dont on poursuivait le rapport dans l’intérêt des catholiques, inter-