Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans lequel j’avais été jeté, à l’heure même où s’épanouissait ma vie intellectuelle, détermina une évolution opposée à celle qu’on aurait pu prévoir et redouter. Le dégoût de la frivolité sénile me rendit grave ; j’accueillis avec ardeur les idées de mon temps, en présence d’un débris d’une autre époque qui ne sut pas m’inspirer le respect auquel ont droit les ruines ; je pris en mépris l’ancien régime, auquel je trouvais si peu de titres pour insulter le nouveau ; et comme ce régime-là s’était surtout montré sous les traits de M. de Voltaire, qui, dans son cynisme élégant, en fut en effet l’un des types les plus vrais, il arriva, par l’influence même de l’intérieur où je fus appelé à vivre, qu’à vingt ans je me trouvais être, contrairement à ce qui avait lieu pour la plupart de mes contemporains, et très-libéral et antivoltairien décidé, séparant instinctivement ce que la jeunesse presque tout entière associait alors dans l’unité d’un même symbole.

Les vieux commensaux de mon oncle ont été mes véritables instituteurs politiques. J’entendais, en effet, chaque jour, des affirmations si étranges, que le silence commandé par mon âge avait fini par devenir une véritable torture. Aucun d’entre eux ne doutait, par exemple, de la complicité du ministre de la police dans l’assassinat du duc de Berry, et le nom du régicide Fouché leur inspirait bien moins d’horreur que celui de M. Decazes. Aujourd’hui nous sommes devenus trop froids pour pouvoir encore rester injustes, lors même que nous en aurions la bonne volonté ; nous ne pouvons plus comprendre les miracles de folle crédulité qui,