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de l’horizon. La période écoulée de 1820 à 1830, au milieu de luttes politiques et littéraires également passionnées, a été, d’ailleurs, l’une des plus pleines dans l’histoire intellectuelle de la France. Des courants contraires, passant sur la jeunesse, avaient séparé celle-ci en deux camps, antagonisme qui, sur la place même de l’École de droit, provoqua plus d’une fois des collisions entre les étudiants attachés à l’un ou à l’autre des deux grands partis entre lesquels se partageait alors la France.

La plus grande partie de ces jeunes gens appartenaient aux classes moyennes qui, après avoir acclamé en 1814 la royauté de la maison de Bourbon par lassitude de l’empire, lui retiraient de plus en plus leur appui, à cause de la crainte que leur inspiraient les souvenirs de l’ancien régime habilement évoqués par une opposition implacable. La France souffre d’un mal organique que parmi les grandes nations de l’Europe elle est seule à éprouver : notre pays tient son passé en suspicion, pour ne point dire en haine. Ce malheur provient de ce que, dans le cours de la longue histoire de la monarchie française, les fautes sont de date plus récente que les services ; il résulte surtout de ce que l’œuvre de notre magnifique unité, ayant moins profité à l’éducation générale de la nation qu’à la vanité d’une caste dotée de privilèges sans posséder aucun droit politique, s’est achevée sous un régime qui présentait la plus parfaite image du chaos. À la veille de 1789, la bourgeoisie française tout entière personnifiait ce régime détesté dans le marquis de Tuffière