Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/48

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jamais ! » arrêt qui semblait interdire jusqu’à l’espérance, et qu’une autre inspiration vint mettre à néant dès le lendemain.

Un ami de MM. de Serre et Laine consacrait à l’œuvre de sagesse, à laquelle s’étaient dévoués ces deux ministres, un talent dont profita peu la cause à laquelle il était sincèrement dévoué. Ancien correspondant du roi Louis XVIII, devenu sous l’Empire professeur de philosophie à la Faculté des lettres, M. Royer-Collard était assurément un royaliste de bon aloi ; mais le droit de la bourgeoisie à la suprématie politique le touchait encore plus que le droit héréditaire de la royauté. Il se considérait comme appelé à en constater la légitimité et à en déterminer les conditions, il en était le prophète confiant et hautain. Le gouvernement des classes moyennes, fondé sur leur supériorité en richesse et en lumière, tel était à ses yeux le dernier mot de l’histoire, l’alpha et l’oméga de toute la science politique. Il contemplait, avec un mépris dont témoignaient toutes ses paroles, les efforts des anciennes classes privilégiées pour reprendre au sein de la France nouvelle une partie du terrain qu’elles n’avaient jamais su défendre ; il annonçait, avec l’assurance qui sied aux oracles, l’irrésistible avènement de la bourgeoisie au gouvernement de l’Europe moderne, sans refuser d’ailleurs à la royauté légitime l’aumône de sa vieille fidélité. Exclusivement occupé du mouvement ascensionnel qu’il signalait dans les classes moyennes, il semblait fermer complètement les yeux sur des aspirations beaucoup plus menaçantes pour leur domina-