Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/59

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dit : À bas Polignac ! Il semble que la jeunesse fût venue au Théâtre-Français pour démolir l’un des bastions de la vieille société monarchique, et le succès de la pièce fut emporté à peu près comme le fut, six mois plus tard, la victoire de juillet.

Mais ce que nul ne prévoyait à cette époque d’espérance et d’illusion, c’est que, de toutes les parties de l’art, le théâtre, sur lequel se portaient alors les préoccupations universelles, serait celle oh les efforts se déploieraient avec le plus de stérilité. De tant d’œuvres bruyamment saluées, rien, ou à peu près rien, ne demeurera. Grâce aux machinistes et aux costumiers, le mélodrame aura seul profité de ces vaines audaces, auxquelles ont nui au même degré deux défauts qui semblent s’exclure : l’affectation du réalisme et la prétention philosophique. Ni les déclamateurs mis en scène par l’auteur de Ruy-Blas pour en finir avec la vieille morale, ni les fantastiques personnages imaginés par l’auteur d’Antony pour remuer les cœurs en tiraillant les nerfs, ne sont appelés à prendre place dans l’immortelle galerie d’êtres vivants dont Molière et Shakespeare ont agrandi le domaine de la création. La réforme dramatique inaugurée vers la fin de la Restauration a eu le sort de la plupart de nos révolutions : elle a effacé sans écrire.

Mais ces efforts généreux et ces ardentes controverses aboutirent fort heureusement, dans d’autres parties de l’art, à des résultats plus effectifs. Si la société nouvelle qui, depuis 1789, cherche en vain sa forme définitive, ne pouvait donner encore dans la littérature drama-