Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/72

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russe nuisait aux épanchements d’un noble cœur, on était tenté de s’écrier :

Seigneur, que de vertus vous me faites haïr !

M. de Damas, qui avait un goût très-vif pour les réformes administratives, et que les petits journaux appelaient le ministre de l’intérieur des affaires étrangères, décida la création, sous le titre de bureau des attachés, d’une sorte d’école diplomatique dont je me trouvai appelé à faire partie. Cette école fut placée sous la direction du comte d’Hauterive, garde des archives, chef des chancelleries.

Parmi tant de figures qui ont passé sous mes yeux, celle de M. d’Hauterive reste éclairée comme un tableau de Rembrandt, qui vit et respire par l’éclatant contraste de la lumière et des ombres. C’était un long et vigoureux septuagénaire, qui entretenait ses forces et son agilité par des exercices gymnastiques exécutés chaque jour en robe de chambre au coin de son feu. Il portait fièrement sa tête osseuse animée par un regard de feu, et de laquelle retombait sur ses épaules une épaisse broussaille de cheveux blancs. Son attitude et sa parole dogmatique rappelaient un chef d’ordre, ou tout au moins un chef d’école, mais c’était la statue de la mobilité coulée en bronze. Il avait emprunté la solennelle austérité de ses formes aux habitudes de sa jeunesse passée dans la société de l’Oratoire ; et la flexibilité de ses idées résultait d’un fond naturel de scepticisme fortifié par les vicissitudes d’une vie écoulée au service des gouvernements les plus divers. Le comte