Page:Carnets de la vicomtesse.pdf/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11


Un autre soir[1], Marsac revint encore de Toulouse avec une quinzaine de soldats. C’étaient de pauvres malades, estropiés, hors-services. On les confiait à des propriétaires généreux pour tâcher de les refaire à l’air de la campagne.

Marsac en avait empilé tout ce que pouvait contenir son grand break et nous les amenait. Ils avaient eu les pieds gelés ces malheureux ou entamés et blessés.

On allait les voir presque chaque jour, leur apportant onguents, pommades, élixir et le reste. Ils étaient à bon râtelier pour retrouver la santé. Mais l’un d’entre eux apportait le germe de la petite vérole noire et mourait en deux jours. Courageusement, Marsac ensevelissait le soldat avec l’aide d’un vieux domestique. Personne ne se souciait de toucher le malheureux.

Peu de jours après, Marsac s’alitait. Mal soigné par un mauvais médecin de campagne, les boutons ne purent sortir, le mal rentra avec le délire. Une nuit[2] il passa. Minuit sonnait, je venais de quitter la chambre du mourant où j’étais avec tante Félicité et Hélène de Marsac.

Ce fut un malheur pour cette famille. Je vois encore la tristesse sur tous les visages, la cérémonie funèbre, les longues files de métayers et de paysans. C’était une providence pour le pays, que ce bon de Marsac.

Et puis la vie de tous les jours reprit, mais le chef manquait et dans la suite tout devait se désagréger ici et aller à sa ruine.


Madame d’Aurelle prit la vérole ; elle fut bénigne, j’allai voir la malade. Tout en m’apercevant, elle me cria : « Ne me touchez pas, vous n’avez pas même de gants ». Je l’assurai que je n’attachais pas d’importance à cela. Quand on a peur d’une maladie ou d’un danger l’affronter est courageux mais lorsqu’on n’a pas l’idée de ce danger il n’y a aucun mérite à le braver.

On ne faisait pas attention aux microbes, comme à présent, et puis je ne croyais pas non plus que mon cher mari pût être blessé. Je pensais à lui chaque jour, mais sans trop de tristesse et je crois que je souffris un peu moins que d’autres, dans ces longs mois de tourments pour tous.

  1. L’épisode se situe entre la bataille de Longeau (16 décembre) et quelques jours avant le 26 décembre puisque Louis de Marsac décède le 27 à 6 h du matin. Probablement autour du 22.
  2. Le 27 décembre à 6 heures du matin. Louis de Marsac avait 33 ans.