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les guerres d’Espagne. J’en oublie… Il y avait encore Albert de Belleud, frère d’Hélène de Marsac… etc. Dans les cuisines, tout le village venait y manger à tour de rôle. Et on vivait largement sur les propriétés sans avoir besoin d’une pièce de cent sous en poche (comme dans le bon vieux temps).

Louis de Marsac avait un frère[1] ayant une autre propriété ici près[2] et une sœur Mme d’Aurelle de Paladines[3], logée au bas du château dans une sorte de pavillon ou petit castel. Quand elle ne venait pas dîner avec son mari[4], elle montait toujours pour la veillée.



Je restai plus de cinq mois à Marsac, je me faisais à cette vie campagnarde. Tous les jours les mêmes choses devant les yeux, les mêmes paroles étaient échangées. Après le déjeuner très copieux (des foies gras, tous les jours pendant la saison, ou des carcasses d’oies confites, c’était exquis et on mange ferme ici), on prenait le café au salon, autour d’une grande table ronde.

Le vieux monsieur de Voisin s’étendait alors dans son grand fauteuil Voltaire et commençait sa petite histoire.

Il y avait deux ou trois versions différentes qui préludaient ainsi : « Après la bataille de Wagram[5] où j’ai été blessé… » ou bien encore : « Du temps de Mme de Marsac[6], la mère… » Au bout de huit jours je les savais toutes par cœur les petites histoires et pouvais souffler le mot qui quelque fois ne venait pas.

Un jour, le vieillard ajouta à sa narration que bien peu de personnes auraient été dignes de dénouer les cordons de souliers de Mme de Marsac la mère. Je demandais des détails que tante Félicité me conta tout bas. L’histoire pourrait commencer ainsi :

« Il était une fois, un roi et une reine, ou mieux encore des princes et des princesses qui étaient venus se promener dans le midi de la France. Ils avaient parmi leur suite une grande jeune fille dont on ne connaissait pas l’origine, paraît-il. La duchesse d’Angoulême, car elle était nommée, désirait marier cette jeune personne à un gentilhomme de ce pays, pour l’éloigner de la cour où sa naissance, trop illustre peut-être, devait rester inconnue. Pourquoi les de Marsac furent-ils choisis ? L’histoire ne le dit pas.

Mais un beau jour, les deux frères de Marsac[7] et leur

  1. Emmanuel Marie Joseph de Reversat de Marsac, né le 20.3.1842 à Marsac, juge de paix à Lavit. Marié le 26.10.1864 à Marsac avec Jeanne Marie Louise Saint-Côme. Le couple avait alors deux filles de 5 et 2 ans et attendait un troisième enfant pour décembre. Ils habitaient depuis peu le château de Poupas situé à 3 km au nord de Marsac.
  2. à Poupas, à trois kilomètres au nord de Marsac
  3. Marie Françoise Perpétue de Reversat de Marsac, née le 8 juin 1845, épousa Louis Adolphe d’Aurelle de Paladines le 6 février 1865 à Marsac. Ils n’eurent pas d’enfant.
  4. Son mari, neveu du général Louis Jean-Baptiste d’Aurelle de Paladines, était maire de Marsac. Il semble déjà souffrir d’une maladie qui l’emportera un an après, le 21 novembre 1871, à l’âge de 31 ans.
  5. 5-6 juillet 1809. Armand de Voisin avait alors 21 ans.
  6. Marie Françoise Bénédicte Sainte Croix La Croix, épouse de Reversat de Marsac, décédée le 22 février 1863 au château de Marsac, à 56 ans.
  7. Victor né le 25 septembre 1784, Eugène le 25.10.1785.