Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/160

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et de la poésie idéalistes qui conserveront longtemps une clientèle considérable dans l’humanité de demain et d’après-demain, quoi qu’on fasse pour comprimer cet élan de l’esprit.

Ce sont des mœurs nouvelles qui ont amené le roman à prendre une si grande place dans la vie moderne. Mais rien ne nous oblige à croire que cette place sera éternellement occupée par le roman naturaliste. Comme nous l’avons déjà dit, il y aura partage entre les deux théories opposées ou peut-être oscillation périodique de l’esprit public entre l’une et l’autre. Ce qui a fait la royauté littéraire du roman, c’est en grande partie l’ennui moderne, cette maladie que les générations des autres siècles, moins excitées et plus croyantes, n’ont pas connue au même degré que nous ; c’est l’ennui, ce vide absolu de l’esprit et du cœur, qui est un trait irrécusable des hommes de notre temps. Autrefois on avait pour se distraire et s’occuper, dans les intervalles du travail quotidien, soit la passion de l’esprit et de la conversation, comme au XVIIIe siècle, soit les passions religieuses, comme au XVIIe siècle, la curiosité violemment excitée par la Réforme et la Renaissance, comme au XVIe. Aujourd’hui, quand la vie, surmenée par le travail des affaires, est contrainte au repos, quelle ressource lui reste dans ce vaste désert des idées qui représente le monde intellectuel ou moral pour la majorité des hommes ? C’est le roman qui tient alors la place qu’occupaient autrefois les livres de controverse dans les siècles anciens ou les grandes questions