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CHAPITRE VIII

long tête-à-tête avec ce livre, il en sort désabuse et non sans quelque mauvaise humeur contre ce dogmatisme qui s’emploie gravement à lier des paradoxes ternes ; il a senti l’insuffisance d’un pareil esprit occupé à résoudre les grands problèmes avec cette étourderie pesante et cette légèreté laborieuse ; il a mesuré l’insuffisance de ces procédés, l’étroitesse du point de vue où s’enferme l’auteur et d’oii il juge, comme d’un centre qui est ce pauvre lui-même, la circonférence infinie des choses, les aspects inépuisables de la nature, de la vie et de l’humanité. Il se détache alors, sans trop s’en apercevoir, d’une doctrine si mal servie, si lourdement compromise ; il cherche obstinément, fut-ce sans la trouver, quelque issue vers de plus hautes régions ; on sent l’effort qu’il fait pour s’élever au-dessus de cette atmosphère abaissée. Des ouvrages comme ceux d’Helvétius sont bien faits pour donner la nostalgie des hauteurs.

Déjà en 1758, jugeant en quelques pages le livre de l’Esprit, Diderot avait laissé entrevoir des dissidences, et d’une plume trop complaisante encore il marquait plus d’une restriction à l’éloge convenu. La plus piquante des restrictions était de s’étonner plaisamment de voir un homme riche, heureux comme Helvétius, se faire auteur. C’est évidemment le sens de ces quelques lignes, discrètement ironiques, par où commencent les Réflexions : « Aucun ouvrage n’a fait autant de bruit. La matière et le nom de l’auteur y ont contribué. Il y a quinze ans que l’auteur y travaille ; il y en a sept ou huit qu’il a quitté sa place de fermier général pour prendre la femme qu’il a, et s’occuper de l’étude des lettres et de la philoso-