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environs du Fourneau ; l’espace ici paraît restreint, il est de fait qu’on ne vit jamais une seule demeure sur les coteaux environnants.

Voulez vous maintenant que nous vous donnions une idée de l’aspect général des Forges et du caractère de ses habitants sous la domination française et dans les années qui suivirent immédiatement, c.-à-d. jusqu’en 1780 ? Écoutez, nous allons essayer de reconstituer quelques-uns des traits de ce passé lointain.

Les usines étaient noires, mais les maisons des ouvriers étaient jaunes, gris pâle, rouges parfois, et toutes si propres, dit l’histoire des Ursulines des Trois-Rivières, que pour l’entretien de leurs demeures et leur toilette personnelle les gens des Forges étaient passés en proverbe. Il y avait de grands et beaux jardins, et le gros ruisseau, tombant en cascades, murmurait agréablement au milieu de cet essaim de travailleurs. « Les hauteurs couronnées par la forêt primitive, encâdraient le paysage sur lequel se détachait, imposante dans sa masse, la Grande Maison, avec son toit normand, ses murs énormes et ses fenêtres riantes aux quatre faces de son long carré »[1].

Les étrangers y venaient de tous les pays par curiosité, les habitants de la ville des Trois-Rivières et des paroisses environnantes en faisaient autant ; les algonquins du Haut Saint-Maurice prenaient l’habitude d’y venir vendre leurs pelleteries, de sorte qu’il y avait un mouvement considérable sur ce petit coin de terre.

Les ouvriers dansaient quelquefois dans la cour des Forges, à peu près à l’endroit où nous sommes, donnant ainsi une marque extérieure de la satisfaction dont ils jouissaient dans leur cœur. En effet, cette petite république vivait dans la paix et le bien-être : les ouvriers ne chômaient pas, ils étaient bien payés de leur travail, et le luxe qui met aujourd’hui la gêne dans tant de familles n’avait pas encore fait irruption dans notre pays. Cette population en général était bonne, bien qu’il y eût certaines misères inséparables

  1. Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, 1er vol. p. 382.