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— J’ai eu connaissance de certaines choses, mais pas de toutes, j’étais encore trop jeune dans le temps ; mais le plus vieux de mes frères a tout vu cela de ses yeux, tout entendu de ses oreilles. — Comme ça vous devez au moins avoir entendu raconter ces faits bien souvent ; ne pourriez-vous pas me les rapporter, cela abrégerait le chemin ? — Vous pourriez en trouver de plus savants que moi là-dessus, car je n’ai pas une bien bonne mémoire ; mais enfin je vous raconterai volontiers ce dont je me souviens.

L’origine de tout ce qui arriva ainsi aux vieilles Forges se trouve dans une difficulté survenue entre M. Bell, propriétaire du Fourneau, et Mlle Poulin, des Trois-Rivières.

Mlle Poulin avait aux environs des Forges des terrains couverts de superbes érables, et M. Bell faisait couper ces érables pour en faire du charbon. Elle voulut l’empêcher comme de raison ; mais c’est en vain qu’elle lui fit procès sur procès, elle ne put jamais rien gagner. Mlle Poulin n’était pas des plus dévotes : « puisque, dit-elle, je ne puis pas même empêcher les autres de prendre ce qui m’appartient, je donne tout ce que j’ai au diable ! » Elle n’avait pas d’héritiers, et elle mourut sans faire de testament, se contentant de répéter : « je donne tous mes biens au diable ! Ils ne jouiront pas en paix de ce qu’ils m’ont volé ! »

Le diable prit cette donation au sérieux, et depuis ce moment il se mit à agir en maître sur les terrains qui environnent les Forges et dans les Forges même ; la vieille semblait aussi quelquefois venir en personne jeter la terreur au sein de la population.

Deux femmes s’en allaient à pied du côté de la ville ; elles étaient un peu en deçà de la Pinière, lorsque tout à coup elles aperçurent quatre hommes qui portaient une tombe. C’était une chose bien étrange ; mais ce qui était plus étrange encore, c’est que ces hommes ne suivaient pas le chemin, ils s’enfonçaient dans le bois. Les deux femmes n’eurent pas peur d’abord ; mais l’une d’elle ayant dit : « c’est Mlle Poulin qu’ils portent en enfer ! » toutes deux furent saisies à l’instant