Aller au contenu

Page:Caron - Deux voyages sur le Saint-Maurice, 1889.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 283 —

hérissés, les jeunes gens s’arrêtèrent et se regardèrent instinctivement. Mon frère, qui était le plus vieux, dit à ses compagnons : « nous sommes fautifs, pour des catholiques c’est mal de marcher pendant la messe comme nous faisons, sans même penser à prier. Arrêtons-nous et disons le chapelet, la Ste Vierge nous protégera. » Ils déposèrent leurs fardeaux sur la neige, se mirent à genoux dessus, et commencèrent le chapelet. Le beuglard aussitôt se mit à reculer, sa voix diminuant à mesure, jusqu’à ce qu’elle s’éteignit dans la profondeur du bois.

Quand le beuglard nous faisait peur, nous avions tous recours aux mêmes moyens que mon frère aîné ; nous faisions un bon signe de croix, et nous disions quelques prières. Il y en avait alors qui priaient pour l’âme de Mlle Poulin, parce qu’ils croyaient que c’était elle qui venait demander des prières.

D’autres croyaient que le beuglard n’était autre que le démon, qui vengeait ainsi les injustices faites à Mlle Poulin, en reconnaissance de la cession qu’elle lui avait faite de tout ce qu’elle possédait. On a demandé bien des fois aux curés ce que cela pouvait être, ils n’ont jamais voulu se prononcer.

C’est singulier comme dans ce temps-là il paraissait y avoir des esprits partout. Tenez il n’y a pas longtemps que nous avons passé une côte appelée la côte jaune ; eh bien ! au pied de cette côte-là, les charretiers voyaient un homme noir qui se tenait debout, et qu’on ne put jamais faire parler. Ils avaient beau lui crier toute sorte de choses, pour l’irriter et le décider à dire ce qu’il était, jamais ils n’avaient de réponse. Un jeune homme s’avisa, un soir, de présenter au fantôme une ardoise et un crayon, afin qu’il écrivît ce qu’il était ou ce qu’il voulait. L’homme noir prit l’ardoise et le crayon, et écrivit, mais personne ne put rien comprendre à son écriture.

Il se passa des choses extraordinaires même dans le temps où les forges ne marchaient plus. On vit par exemple, en plein midi, un gros ours qui passait à petit pas au milieu du village. Grand émoi de tous côtés :