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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

crottoir et rejetée sur un tas d’immondices. Avec quelle impatience fébrile j’attendais le bienfaisant rayon de soleil qui devait me relever de la profonde humiliation où j’étais tombée !

Cet affreux état dura plus d’un grand mois pendant lequel j’assistai, dans la cour d’une ferme, à mille détails vulgaires qui, tout en choquant mes délicatesses innées, ne laissaient pas cependant de m’intéresser parfois.

Le soleil luisit enfin et darda un rayon si brûlant qu’il me dégagea de mes liens honteux. Je m’élevai radieuse et à une telle hauteur, que je me trouvai bientôt dans cette région des orages où les éléments se combattent avec tant de fureur.

Là, je fus tiraillée par les deux électricités contraires ; et, après avoir été successivement attirée et repoussée plus de cent fois par chacune d’elles, je me trouvai au centre d’un gros grêlon qu’un tourbillon emporta avec une grande quantité d’autres. Le nuage sinistre que nous formions répandait l’épouvante dans toutes les contrées au-dessus desquelles il passait ; ceux qui le voyaient fuir bénissaient le ciel qui les épargnait. Enfin, n’étant plus soutenus par la couche d’air inférieure, nous nous précipitâmes sur des terres couvertes d’épis mûrs, et nous les ravageâmes si bien qu’il ne resta plus aucun espoir de moisson. Je gisais dans un fossé bordant le champ d’un pauvre cultiva-