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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

fus invinciblement entraînée dans un conduit aboutissant au corps d’une pompe mue par la vapeur. Arrivée dans le réservoir, puis chassée dans un dédale de canaux souterrains qui me conduisirent à une borne-fontaine, je tombai dans la cruche d’une jeune ouvrière matinale qui m’emporta chez elle. En passant devant la bouquetière, elle prit quelques roses qu’elle déposa dans un verre, et je fus du nombre des gouttes d’eau dont elle le remplit.

Cette jeune fille peignait des éventails. Souriant d’abord à son ouvrage, puis aux fraîches rivales de sa beauté qui lui servaient de modèles, elle vit se dérouler insensiblement dans son imagination le tableau des fêtes où brillerait l’éventail qu’elle faisait. Elle voyait les danses joyeuses d’un essaim de jeunes filles belles de leurs attraits, et aussi de leurs élégantes parures. Puis elle jeta un regard pensif sur sa chambre dénudée ; son front devint soucieux, et une larme furtive coula lentement le long de sa joue.

C’est qu’elle aussi avait assisté à ces fêtes brillantes dont le souvenir la navrait ! Une indicible amertume emplit son cœur qui était tout prêt à se révolter contre sa destinée, quand un soupir de sa mère aveugle vint l’arracher à cette préoccupation. Se rappelant alors la sainteté de son travail qui nourrissait cette chère infirme, elle courut l’embrasser,