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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

et la jeune mère charmée, à genoux devant cette ravissante idole, ne songeait guère aux larmes que, peut-être, cet enfant adoré lui ferait verser un jour.

On jeta le bain et je retournai à la Seine, toujours soumise à mille chances diverses : allant de l’égout immonde à la demeure du riche, pour retomber encore dans la fange. Un porteur d’eau me vendit un jour à un fabricant d’instruments de précision qui m’emprisonna dans un niveau d’eau. Je me crus enfermée pour un temps indéfini, et j’en fus au désespoir ; heureusement, un maladroit fit tomber l’instrument en l’examinant ; il se brisa sur le seuil du magasin, et je filai vite entre les pavés jusqu’au ruisseau, qui me conduisit dans le fleuve dont j’étais sans cesse retirée.

Il m’arriva de me trouver au fond de l’encrier d’un écrivain qui traitait des sciences morales, et cherchait à résoudre le grand problème du bonheur : solution qui depuis des siècles occupe tant de vastes esprits sans que la question en soit beaucoup plus avancée. Chacun partant de soi et jugeant selon ses passions ou ses intérêts, il a été impossible d’arriver à un résultat satisfaisant. Après avoir longtemps médité, cet écrivain se ranime tout à coup, son œil brille, il trempe vivement sa plume dans l’encrier, et je contribuai à fixer ces mots :

« Quand les hommes, moins occupés d’eux-