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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

mena au pôle nord. Nous y arrivâmes en plein été et fûmes très-surprises de trouver, dans ces contrées désolées où la végétation ne s’éveille guère que pendant trois mois de l’année, des hommes venus de loin pour arracher à la nature le secret de cette attraction magnétique qui les avait guidés dans ces pays perdus.

Nous ne tardâmes pas à être congelées au contact d’un glaçon mince et plat dont nous fîmes immédiatement partie. Un Esquimau, qui bâtissait sa hutte de neige, prit cette glace pour fermer l’ouverture devant y laisser pénétrer la lumière. Il tapissa cet étrange abri contre le froid d’une double rangée de fourrures, et rendit aussi commode que possible le pauvre réduit où sa vie allait être concentrée pendant cette longue nuit polaire.

Témoin de la vie quasi végétative de la famille habitant cette hutte, je fus prise d’une profonde pitié pour cette race qui, douée par le Créateur des mêmes facultés qu’il accorde au reste des hommes, est pourtant condamnée par les conditions de son existence physique à une espèce d’annihilation complète de l’intelligence. L’âme de ces créatures déshéritées devait-elle retourner à Dieu sans avoir eu conscience d’elle-même ?

Cependant, l’observation attentive des petits faits qui s’accomplissaient dans la hutte modifia singulièrement mon premier jugement. Si l’intelligence