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consentir à des complaisances, dont les suites pouvoient devenir tres decisives. Cette pensée me fit horreur. Je me suis imposé une loi sevère, et je n’ai pas douté de la force qui m’étoit necessaire pour l’observer.

Les voyant reparoitre portant sur leur physionomie le caractere de la securité, et du contentement, je me suis dans l’instant donné le même vernis bien determiné à ne plus m’exposer au feu des baisers.

Nous passames une heure à parler d’Angela. Je leur ai dit que je me sentois determiné à ne plus la voir, puisque j’étois convaincu qu’elle ne m’aimoit pas. Elle vous aime, me dit la naïve Marton, et j’en suis sûre ; mais si vous ne pensez pas à l’epouser, vous ferez fort bien à rompre avec elle tout à fait, car elle est decidée à ne vous accorder pas un seul baiser tant que vous ne serez que son amoureux : il faut donc la quitter, ou vous disposer à ne la voir trouver complaisante en rien — Vous raisonnez comme un ange ; mais comment pouvez vous être sûre qu’elle m’aime ? — Tres sûre. Dans l’amitié fraternelle que nous nous sommes promis je peux sincerement vous le dire. Quand Angela couche avec nous, elle m’appelle, me couvrant de baisers, son cher abbé.

Nanette alors, eclatant de rire, lui mit une main sur la bouche ; mais cette nayveté naïveté me mit tellement en feu, que j’ai eu la plus grande des peines à conserver ma contenence. Marton dit à Nanette qu’il étoit impossible, ayant beaucoup d’esprit, que j’ignorasse ce que deux filles bonnes amies fesoient quand elles couchoient ensemble — Sans doute, lui ajoutai-je, personne n’ignore ces bagatelles, et je ne crois pas, ma chere Nanette, que vous ayez trouvée dans cette confidence amicale vôtre sœur trop indiscrete — À present c’est fait ; mais ce sont des choses qu’on ne dit pas. Si Angela le savoit ! — Elle seroit au desespoir, je le sais bien ; mais Marton m’a donnée une telle marque