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allée passer avec elles la nuit du lendemain, et que dans les habitudes où elles étoient elle avoit deviné tout ce qui etoit arrivé, et qu’elles en étoient convenues lui reprochant qu’elle en avoit été la cause. Elle leur avoit dit les injures les plus grossieres, et elle avoit juré de ne plus remettre les pieds chez elles. Elles ne s’en soucioient pas.

Quelques jours après la fortune nous delivra d’Angela. Elle est allée demeurer à Vicence avec son pere qui y fut occupé pour deux ans à peindre a Fresco des apartements. De cette façon je suis resté tranquille possesseur de ces deux anges je passois au moins la nuit deux fois par semaine y allant toujours attendu avec la clef qu’elles surent me procurer.

Vers la fin du carnaval Monsieur Manzoni me dit que la celebre Julietta vouloit me parler ; et qu’elle avoit été toujours fachée de ne plus me voir. Assez curieux de savoir ce qu’elle avoit à me dire j’y fus avec lui. Après m’avoir reçu assez poliment, elle me dit qu’elle avoit su que j’avois chez moi une belle sale, et qu’elle desiroit que je lui donnasse un bal à ses depens. J’y ai d’abord consenti. Elle me donna 24 cequins, et elle envoya ses domestiques garnir de lustres ma sale, et mes chambres, je ne devois penser qu’à l’orkestre, et au souper. Monsieur de San Vitali étoit deja parti ; et le gouvernement de Parme lui avoit donné un econome. Je l’ai vu dix ans après à Versailles decoré des ordres du roi en qualité de grand ecuyer de la fille ainée de Louis XV duchesse de Parme, qui comme toutes les princesses de France ne pouvoit pas se souffrir en Italie.

Mon bal fut en ordre. Il n’y avoit que la coterie de Juliette, et dans une petite chambre Madame Orio avec ses deux nieces, et le procureur Rosa qu’en qualité de personnes sans consequence elle m’avoit permis de faire venir.

Après le souper, tandis qu’on dansoit des menuets, la belle me prend à part, et me dit menez moi vite dans votre chambre, car il m’est venue une idée plaisante, et nous rirons.

Ma chambre étoit au troisieme étage, et nous y allons.