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Je l’ai alors priée de se lever pour aller allumer des bougies, et ce fut Marton qui eut cette complaisance. Quand j’ai vu Nanette entre mes bras animée par le feu de l’amour, et Marton qui tenant une bougie nous regardoit, et paroissoit nous accuser d’ingratitude de ce que nous ne lui disions rien, tandis qu’ayant été la premiere à se rendre à mes caresses elle avoit encouragée sa sœur à l’imiter, j’ai senti tout mon bonheur. Levons nous, leur dis-je, pour nous jurer une amitié eternelle, et pour nous rafraichir.

Nous fimes tous les trois dans un baquet plein d’eau une toilette de mon invention qui nous fit rire, et qui renouvella tous nos desirs ; puis dans le costume de l’age d’or nous mangeames le reste de la langue, et vidames l’autre bouteille. Apres nous être dit cent choses, que dans l’ivresse de nos sens la ne il n’est permis d’interpreter qu’à l’amour, nous nous recouchames, et nous passames dans des debats toujours diversifiés tout le reste de la nuit. Ce fut Nanette qui en fit la cloture. Madame Orio étant allée à la messe j’ai dû les quitter abregeant tous les propos. Après leur avoir juré que je ne pensois plus à Angela, je suis allé chez moi m’ensevelir dans le someil jusqu’à l’heure de diner.

M. de Malipiero me trouva l’air joyeux, et les yeux cernés ; et j’ai laissé qu’il s’imagine tout ce qu’il voulut ; mais je ne lui ai rien dit. Je suis allé chez madame Orio le surlendemain, et Angela n’y étant pas j’y ai soupé, puis je suis parti avec M. Rosa. Nanette trouva le moment de me remettre une lettre, et un paquet. Le paquet contenoit un morceau de pate sur la quelle étoit l’empreinte d’une clef, et la lettre me disoit de faire faire la clef, et d’aller passer les nuits avec elles quand j’en aurois envie. Elle me rendoit compte outre cela qu’Angela étoit