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repliqua-t-il. Tu seras pendu. Pour lors le major se leva leur disant qu’il avoit des affaires à terminer, et ils partirent. Il m’assura qu’il iroit le lendemain porter ses plaintes al Savio alla scrittura. Mais après cette scene j’ai serieusement pensé à executer un projet de vengeance.

Tout le Fort S. André étoit entouré d’eau, et il n’y avoit pas de sentinelle qui put voir mes fenetres. Un bateau donc sous ma fenêtre dans le quel j’aurois pu me descendre auroit pu me mettre à Venise pendant la nuit, et me reconduire au Fort avant qu’il fût jour ; et après que j’aurois fait mon coup. Il s’agissoit de trouver un batelier qui pour gagner de l’argent eut le courage de risquer d’aller aux galeres.

Entre plusieurs qui venoient porter des provisions, un qui s’appeloit Blaise fixa mon attention. Quand je lui ai fait ma proposition lui promettant un cequin il me promit une reponse dans le jour suivant. Il me dit qu’il étoit prêt. Il avoit voulu s’informer si j’étois prisonnier de consequence. La femme du major lui avoit dit que je n’étois detenu que pour des fredaines. Nous établimes qu’il se trouveroit au commencement de la nuit sous ma fenetre avec son bateau, ayant un mat assez long pour que je pusse m’y prendre, et me glisser dedans.

Il fut exact. Le tems étoit couvert, la marée haute, et le vent étant contraire j’ai vogué avec lui. Je suis descendu à la rive des esclavons au Sepulcre, lui ordonnant de m’attendre. J’étois enveloppé dans un capot de marinier. Je suis allé tout droit à S.t Augustin à la rue Bernard, me fesant conduire à la porte de la maison de Razzetta par le garçon du café.