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Grimani avoit vendu, elle me disoit qu’il s’étoit engagé à faire le patrimoine à mon frere le posthume.

Ce fut une imposture. Ce patrimoine fut fait treize ans après, mais fictice et par un stellionat. Je parlerai à sa place de ce malheureux frere qui mourut miserable à Rome il a 20 ans.

À la moitié du mois de Juin, les cimariottes furent renvoyés au Levant, le Fort resta avec cent invalides de garnison, et m’ennuyant dans la tristesse, je brulois de colere. La chaleur étant forte, j’ai écrit à M. Grimani de m’envoyer deux habits d’étés, lui disant où ils devoient être si Razzetta ne les avoit pas vendus. Je fus étonné de voir cet homme huit jours après entrer dans la chambre du Major en compagnie d’un autre qu’il lui presenta lui disant que c’étoit le seigneur Petrillo celebre favorit de la Czarine de toutes les Russies qui venoit alors de Petersbourg. Je le connoissois de nom mais au lieu de celebre il devoit dire infame, et au lieu de favorit il devoit dire bouffon. Le major leur dit de s’asseoir, et en même tems Razzetta, ayant pris des mains du barcarol de M. Grimani un paquet, il me le donna me disant voila tes guenilles que je te porte — Le jour viendra, lui repondis-je, que je te porterai un Rigano. aux C’est le nom de l’habit que portent les galeriens.

À ces mots l’affronteur osa lever sa cane ; mais le major le petrifia lui demandant s’il avoit envie d’aller passer la nuit au corps de garde. Petrillo, qui n’avoit jamais parlé, me dit alors qu’il étoit faché de ne m’avoir pas trouvé à Venise, car je l’aurois conduit au bordel. Nous y aurions trouvé ta femme, lui repondis-je. Je me connois en physionomies, me