Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231 226
[152r]


plus d’en être l’auteur. Je vous remercie. Mais ayez aussi la complaisance de lire dans le même ton les dix de son Eminence en reponse des miennes. Elles les surpassent de beaucoup. — Ne croyez pas cela, me dit il ; Les voici cependant. Mais tachez aussi de ne leur faire rien perdre à la lecture.

Le cardinal n’avoit pas besoin de me faire cette priere, car c’etant du mien, je n’étois pas le maitre de lire mal, d’autant plus que Baccus augmentoit le feu que la marquise devant mes yeux allumoit dans mon ame.

Je les ai lues d’une façon que le cardinal en fut ravi ; mais et qui fit rougir la marquise là je fesois la description de certaines beautés qu’on permet à la poésie de louer ; mais que je ne pouvois pas avoir vues. Elle m’arracha les stances d’un air depiteux me disant que j’y avois changé des vers. C’etoit vrai ; mais j’ai fait semblant de ne pas en convenir. J’étois tout en flammes, et elle n’étoit pas moins ardente. Le cardinal s’etant endormi, elle se leva pour aller s’asseoir sur le Bel-vedere ; et je l’ai suivie.

À peine assise sur la hauteur d’appui, je me mets devant elle debout. Un de ses genoux donnoit contre le gousset où j’avois ma montre. Prenant avec une respectueuse douceur une de ses mains, je lui dis qu’elle m’avoit embrasé. Je vous adore, madame, et si vous ne me permettez pas d’esperer du retour, je suis decidé à vous eviter pour toujours. Prononcez ma sentence. — Je vous crois libertin, et inconstant — Je ne suis ni l’un, ni l’autre.

Lui disant cela, je l’ai serrée contre mon sein, mettant sur ses levres un baiser d’amour qu’elle reçut sans avoir la bassesse de faire la souffrir que je lui fisse la moindre violence. Mes mains affamées tenterent alors de s’ouvrir le chemin à tout ; mais elle changea vite de posture, me priant de la respecter avec tant de douceur que je me suis cru en devoir, non seulement de moderer tout transport ; mais de lui demander pardon. Elle me parla alors de D. Lucrezia, et elle dut être enchantée de me trouver un monstre de discretion. Elle me parla après du cardinal, dont