Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24 24
[27v]


ne sachant comment faire à lui marquer sa grande reconnoissance, fit devenir la scène tres comique. Ma mere pour le dispenser de tout compliment lui présenta sa figure : il s’agissoit de deux baisers, dont rien n’est plus simple en bonne compagnie, ni moins significatif ; mais le pauvre homme se trouva decontenancé à un point qu’il auroit voulu plus tôt mourir que les lui donner. Il se retira baissant la tete, et on le laissa en repos jusqu’au moment que nous allames nous coucher.

Il attendit à épancher son cœur quand nous fumes seuls dans notre chambre. Il me dit que c’étoit un dommage qu’il ne pût pas publier à Padoue ni le distique, ni ma réponse — Pourquoi ? — Parceque c’est une turpitude ; mais elle est sublime. Allons nous coucher, et n’en parlons plus. Ta réponse est prodigieuse parceque tu ne peux ni connoitre la matiere, ni savoir faire des vers.

Pour ce qui regarde la matiere je la connoissois par theorie ayant déjà lu Meursius en cachette precisement parcequ’il me l’avoit defendu ; mais il avoit raison de s’étonner que j’eusse su faire un vers, car lui même qui m’avoit enseigné la prosodie n’avoit jamais su en faire un. Nemo dat quod non habet est un axiome faux en morale.

Quatre jours après au moment de notre depart ma mere me donna un paquet, dans le quel il y avoit un present pour Bettine, et l’abbé Grimani me donna quatre cequins pour m’acheter des livres. Huit jours après, ma mere partit pour Petersbourg.

À Padoue mon bon maitre ne fit que parler de ma mere tous les jours, et à tout propos pour trois ou quatre mois de suite ; mais Bettine s’affectionna singulièrement à ma personne quand elle trouva dans le paquet cinq aunes de cendal noir qu’on appelle lustrin, et douze paires de gants. Elle prit soin de mes cheveux de façon qu’en moins de six mois j’ai quitté ma peruque. Elle venoit me peigner