Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26 26
[28v]


Cette observation me causa un sentiment, dont jusqu’à ce moment là je n’avois jamais eu aucune idée ; et dont je n’ai fait l’analise que quelques années après. Ce ne fut ni jalousie, ni indignation, mais un noble dedain qui ne me parut pas fait pour être rejeté, car Candiani ignorant, grossier, sans esprit, sans education civile, fils d’un fermier, et hors d’état de me tenir tête en rien, n’ayant sur moi autre avantage que l’age de la puberté n’etoit ne me paroissoit pas fait pour me rendre jaloux m’être preferé : mon amour propre naissant me disoit que je valois mieux que lui. ;et je me fesois pas des façon pour le croire. Si je ne me suis pas trouvé indigné, ce fut apparament parceque mon caractere n’inclinoit pas à la haine necessaire au sentiment de l’indignation. Un vrai J’ai conçu un sentiment de mepris mêlé d’orgueil qui se declara est ce qui fait le dedain ; mais ce me pris tombé sur contre Bettine que j’aimois sans le savoir. Elle s’en aperçut à la façon dont je recevois ses caresses quand elle venoit à mon lit pour me peigner : je repoussois ses mains, je ne répondois pas à ses baisers ; et piquée un jour de ce que me demandant la raison de mon changement, je ne lui en ai allégué aucune, elle me dit, avec l’air de me plaindre que j’etois jaloux de Candiani. Ce reproche me parut une calomnie avilissante : je lui ai dit que je croyois Candiani digne d’elle, comme elle de lui : elle s’en alla en souriant ; mais enfantant le projet unique qui pouvoit la venger. Elle se trouva engagée à me rendre jaloux, mais pour l’executer ayant besoin de me rendre amoureux, ce fut ainsi qu’elle s’y prit.

Elle vint un matin à mon lit me portant des bas blancs tricottés par elle ; et après m’avoir coiffé, elle me dit qu’elle avoit besoin de me les chausser pour voir leurs deffauts, et se regler pour m’en faire d’autres. Le docteur étoit allé dire sa messe. Me mettant les bas, elle me dit que j’avois les cuisses malpropres, et tout de suite elle se mit en devoir de me les laver sans m’en demander la permission. Ce courage de sa part em&shy ;