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regardoit la composition je me suis facilement senti assez de force pour produire un chef d’œuvre.

Je lui ai dit que j’etois pret, et qu’il me tardoit d’etre chez moi pour commencer à écrire le panegirique. Sans être théologien, lui dis-je, je connois la matiere. Je dirai des choses surprenantes, et toutes neuves. Le lendemain il me dit que le curé avoit été enchanté de son choix, et plus encore de ma bonne volonté à accepter cette sainte commission, mais qu’il exigeoit que je lui montrasse ma composition d’abord que je l’aurois achevée, car la matiere étant du ressort de la plus sublime théologie il ne pouvoit me permettre de monter en chaire qu’étant sûr que je n’aurois pas dit des heresies. J’y ai consenti, et dans le courant de la semaine j’ai composé, et mis en net mon panegirique. Je le conserve, et qui plus est je le trouve excellent.

Ma pauvre grand-mere ne fesoit que pleurer de consolation voyant son petit fils devenu apôtre. Elle voulut que je le lui lisa lusse, elle l’ecouta en disant son chapelet, et elle le trouva fort beau. M. Malipiero, qui n’ecoutoit pas disant le chapelet, me dit qu’il ne plairoit pas au curé. J’avois pris mon theme d’Horace Ploravere suis non respondere favorem speratum meritis. Je deplorois la mechanceté, et l’ingratitude du genre humain qui avoit fait manquer le projet que la divine sagesse avoit enfanté pour le redimer. Il n’auroit pas voulu que j’eusse pris mon theme d’un ethnique ; mais il étoit enchanté que mon sermon ne fût pas entrelardé de citations latines.

Je suis allé chez le curé pour le lui lire : il n’y étoit pas ; et devant l’attendre je suis devenu amoureux d’Angela sa nièce, qui brodoit au tambour, qui me dit qu’elle avoit envie de me connoitre, et qui ayant envie de rire voulut que je lui contasse l’histoire de mon toupè que son sacré oncle m’avoit coupé. Cet amour me fut fatal ; il fut cause de deux autres, qui furent causes de plusieurs autres causes qui aboutirent à la fin à me faire renoncer à l’état d’ecclésiastique. Mais allons tout doucement.

Le curé en arrivant ne me parut pas faché de me voir entretenu par sa niece qui avoit mon même age. Après avoir lu mon sermon