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que la croyant repentie de son vilain proceder je me suis repenti aussi du mien ; mais ce fut un sentiment de foiblesse, dont le ciel dut me punir.

Après la contredanse tout le monde masculin se crut autorisé à prendre des libertés avec Juliette devenue abbé, et à mon tour je me suis emancipé avec les filles qui auroient craint de passer pour bêtes si elles se fussent opposées à mes manieres. M. Querini fut assez sot pour me demander si j’avois des culottes, et je l’ai vu palir quand je lui ai dit que j’avois été obligé de les ceder à l’abbé. Il alla s’asseoir dans un coin de la sale, et il ne voulut plus danser.

Toute la compagnie enfin remarquant que j’avois une chemise de femme ne douta pas de la beauté de mon aventure exceptés Nanette, et Marton qui ne pouvoient pas me croire capable d’une infidelité. Juliette s’aperçut qu’elle avoit fait une grande étourderie ; mais il n’y avoit plus de remede.

D’abord que nous retournames dans ma chambre pour nous deshabiller, la croyant repentie, et ayant d’ailleurs pris du gout pour elle, j’ai cru de pouvoir l’embrasser, et en même tems lui prendre une main pour la convaincre que j’étois pret à lui donner toute la satisfaction qu’elle meritoit ; mais elle me sangla un si violent soufflet que peu s’en fallut que je ne le lui rendisse. Je me suis alors deshabillé sans la regarder, et elle en fit autant. Nous descendimes ensemble ; mais malgré l’eau fraiche avec la quelle je me suis lavé le visage toute la compagnie put voir sur ma figure la marque de la