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sans faute le matin à mon reveil ; mais au lieu d’elle je vois une vilaine servante paysanne. Je lui demande des nouvelles de la famille, et je n’apprens rien, car elle ne parloit que furlan. C’est la langue du païs.

Cela m’inquiete. Qu’est donc devenue Lucie ? A-t-on decouvert notre commerce ? Est elle malade ? Est elle morte ? Je me tais, et je m’habille. Si on lui a defendu de me voir, je me vengerai, car d’une façon ou de l’autre je trouverai le moyen de la voir, et par esprit de vengeance je ferai avec elle ce que l’honneur malgré l’amour m’a empeché de faire.

Mais voila le concierge qui entre d’un air triste. Je lui demande d’abord comment se portoient sa femme, et sa fille, et au nom de cette derniere il pleure — Est elle morte ? — Plut à Dieu qu’elle fut morte. — Qu’a-t-elle fait ? — Elle s’est en allée avec l’aigle courreur de Monsieur le comte Daniel, et nous ne savons pas .

Sa femme arrive, et entendant ce discours, sa douleur se renouvelle, et elle se pame. Le concierge me voyant sincerement associé à son affliction, me dit qu’il n’y avoit que huit jours que ce malheur lui étoit arrivé. Je connois l’aigle, lui dis-je,