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homme affreux qui m’avez rendu malheureuse pour tout le reste de mes jours. Etes vous content à present ? — Non — Que voulez vous ? — Un deluge de baisers — Que je suis malheureuse ! Eh bien. Tenez — Dites que vous me pardonnez. Convenez que je vous fais plaisir — Oui. Vous le voyez. Je vous pardonne.

Je l’ai alors essuyée ; et l’ayant priée d’avoir la meme honeteté avec moi, je lui ai vu la bouche riante — Dites moi que vous m’aimez, lui dis-je — Non, car vous etes un athee, et l’enfer vous attend.

L’ayant alors remise à sa place, et voyant le beau tems je l’ai assurée que le postillon ne s’étoit jamais tourné. En badinant sur l’aventure, et lui baisant les mains, je lui ai dit que j’etois sûr de l’avoir guerie de la peur du tonnerre, mais qu’elle ne reveleroit jamais à personne le secret qui avoit operé sa guerison. Elle me repondit qu’elle étoit pour le moins tres sûre que jamais femme n’avoit eté guerie par un pareil remede — Cela, lui dis-je, doit être arrivé dans mille ans un million de fois. Je vous dirai meme que montant dans la caleche j’y ai compté dessus, car je ne connoissois autre moyen que celui ci pour parvenir à vous posseder. Consolez vous. Sachez qu’il n’y a pas au monde de femme peureuse, qui dans votre cas eut osé resister — Je le crois ; mais pour l’avenir je ne voyagerai qu’avec mon mari — Vous ferez mal car votre mari n’aura pas l’esprit de vous consoler comme j’ai fait — C’est encore vrai. On gagne avec vous des singulieres connoissances ; mais soyez sûr que je ne voyagerai plus avec vous.

Avec des si beaux dialogues nous arrivames à Paséan avant tous les autres. À peine descendue elle courut s’enfermer dans sa chambre tandis que je cherchois un ecu pour le donner au postillon. Il rioit — De quoi ris tu ? — Vous le savez bien — Tiens. Voila un ducat. Mais soys discret.

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