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consommé le plus ancien de tous les crimes, à ce que plusieurs pretendent. Dans le moment que je lui donnois ce bon conseil, nous entendons marcher ; et l’abbé s’echappe ; mais un moment après j’entens un grand coup suivi de la voix rauque du prefet qui dit scelerat à demain à demain. Après avoir rallumé la lanterne il retourna dans son lit.

Le lendemain, avant le son de la cloche qui ordonne de se lever, voila le recteur qui entre avec le prefet. Ecoutez moi tous, dit le recteur ; vous n’ignorez pas le desordre arrivé cette nuit. Deux de vous doivent être coupables, et je veux leur pardonner, et pour menager leur honneur faire qu’ils ne soient pas connus. Vous viendrez tous vous confesser à moi aujourd’hui avant la recréation.

Il s’en alla. Nous nous habillames, et après diner nous allames tous nous confesser à lui : nous fumes ensuite au jardin, l’abbé me dit qu’aiant eu le malheur de donner dans le prefet, il avoit cru de devoir le pousser par terre. Moyennant cela il avoit eu le tems de se coucher. Et actuellement, lui dis-je, vous etes sûr de vôtre pardon, car tres sagement vous avez confessé la verité au recteur — Vous badinez. Je ne lui aurois rien dit quand meme la visite innocente que je vous ai faite auroit été criminelle — Vous avez donc fait une confession subreptice, car vous etiez coupable de desobéissance — Cela se peut ; mais tout doit aller sur son compte, car il nous a forcé — Mon cher ami ; vous raisonnez fort juste, et actuellement le reverendissime doit avoir appris que notre chambrée est plus savante que lui.

Cette affaire n’auroit eu autre suite, si trois ou quatre nuits après il ne me fut venu le caprice de rendre à mon ami sa visite. Une heure après minuit, ayant eu besoin d’aller à la garderobe, et entendant à mon retour le ronflement du prefet ; j’ai vite etouffé le lumignon de la lampe, et je suis entré dans le lit de mon ami. Il me reconnut d’abord, et nous rimes, mais nous tenant tous les deux attentifs au ronflement de nôtre gardien. D’abord qu’il cessa de ronfler, voyant le danger, je sors de son lit, ne perdant pas un seul instant, et je n’employe qu’un moment pour entrer dans le mien. Mais à peine y suis-je, que voila deux fortes surprises. La premiere est que je me trouve près de quelqu’un ; la seconde que je vois le prefet debout en chemise, une