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je ne m’y ennuyois pas. On critiquoit sans medire, on parloit politique, et litterature ; je m’instruisois. En sortant du couvent de ce sage moine, j’allois à la grande assemblée du cardinal mon maitre par la raison que je devois y aller.

Presqu’à chaqu’assemblée, la marquise G., quand elle me voyoit à la table où elle jouoit me disoit une parole ou deux en françois aux quelles je repondois en italien, parcequ’il me paroissoit de ne devoir pas la faire rire en public. Singulier sentiment que j’abandonne à la perspicacité de mon lecteur. Je la trouvois charmante, et je la fuyois, non pas par crainte de devenir amoureux d’elle, car aimant D. Lucrezia, cela me paroissoit impossible ; mais par peur qu’elle put devenir amoureuse, ou curieuse de moi. Etoit ce fatuité, ou modestie ? Vice, ou vertu ? Solvat Apollo. Elle me fit encore appeler par l’abbé Gama, étant debout, et ayant près d’elle mon mett maitre, et le cardinal S. C.. Je me presente, et elle me surprend par une interrogation en italien à la quelle je ne me serois jamais attendu. Vi ha piacciuto molto, me dit elle, Frascati ? — Beaucoup madame. Je n’ai jamais de ma vie rien vu de si beau — Ma la compagnia con la quale eravate, era ancora più bella, ed assai galante era il vostro vis à vis.

Je ne repons que par une reverence. Une minute après le cardinal Acquaviva me dit avec bonté : etes vous étonné qu’on le sache ? — Non monseigneur ; mais je suis surpris qu’on en parle. Je ne croyois pas Rome si petite Et plus vous y resterez, me dit S. C., plus vous la trouverez petite. N’etes vous pas encore allé baiser le pied du saint pere ? — Pas encore, Monseigneur — Vous devez y aller, me dit le cardinal Acquaviva. Je lui ai repondu par une reverence.

L’abbé Gama me dit en sortant de l’assemblée que je devois y aller sans faute le lendemain. Vous vous montrez, me dit il, je n’en doute pas, chez la marquise G. — Doutez en ; car je n’y ai jamais été — Vous m’étonnez. Elle vous fait appeler ; elle vous parle ! — J’y irai avec vous — Je n’y vais jamais — Mais elle vous parle aussi — Oui ; mais..... Vous ne connoissez pas Rome. Allez y tout seul. Vous devez y aller — Elle me recevra donc ? — Vous badinez je crois. Il ne s’agit pas de vous faire annoncer. Vous irez la voir, quand les deux battans de la chambre où elle sera seront ouverts. Vous verrez là tous ceux qui lui font hommage — Me verra-t-elle ? — N’en doutez pas.

Je vais le lendemain à Monte Cavallo, et je vais tout droit dans la chambre où etoit le pape d’abord qu’on me dit que je pouvois y entrer, et qu’il étoit seul.