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bonne chambre nos equipages mâles j’ai ordonné à souper. Comme il n’y avoit qu’un lit, j’ai demandé d’une voix tres calme à Bellino, s’il vouloit se faire allumer du feu dans une autre chambre. Il me surprit me repondant avec douceur qu’il n’avoit aucune difficulté à se coucher dans mon lit.

Le lecteur se figurera facilement quel fut l’etonnement dans le quel me jeta cette reponse à laquelle je ne pouvois jamais m’attendre, et dont j’avois grand besoin pour eloigner de mon esprit toute la noire humeur qui le troubloit. J’ai vu que j’etois au denouement de la piece, et je n’osois pas m’en feliciter, car je ne pouvois pas prevoir s’il seroit agréable, ou tragique. Ce dont j’etois certain etoit qu’au lit il ne m’echaperoit pas, quand même il auroit eu l’insolence de ne pas vouloir se deshabiller. Satisfait d’avoir vaincu, j’etois decidé à obtenir une seconde victoire le respectant, si je l’avois trouvé homme, mais je ne le croyois pas. Le trouvant fille je ne doutois pas de toutes les complaisances qu’il devoit avoir, quand ce n’auroit été que pour me faire raison.

Nous nous mimes à table ; et dans ses discours, dans son air, dans l’expression de ses yeux, dans ses sourires il me parut devenu un autre.

Soulagé, comme je me sentois, d’un grand fardeau, j’ai rendu le souper plus court que d’ordinaire, et nous nous levames de table. Bellino après avoir fait porter une lampe de nuit, ferma la porte, se deshabilla, et se coucha. J’en ai fait de même sans prononcer un seul mot. Nous voila couchés ensemble.

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