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Chapitre II

Ma grand-mere vient me mettre en pension chez le docteur Gozzi. Ma premiere tendre connoissance.

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L’esclavone me fit d’abord monter au grenier avec elle, où elle me montra mon lit au bout de quatre autres, dont trois appartenoient à trois garçons de mon âge, qui dans ce moment là étoient à l’ecole, et le quatrième à la servante, qui avoit ordre de nous faire prier Dieu, et de nous surveiller pour nous empecher toutes les polissonneries habituelles des écoliers. Après cela elle me fit descendre au jardin, où elle me dit que je pouvois me promener jusqu’à l’heure du diner.

Je ne me trouvois ni heureux ni malheureux ; je ne disois rien ; je n’avois ni crainte, ni espoir, ni aucune espece de curiosité ; je n’étois ni gai, ni triste. La seule chose qui me choquoit étoit la personne de la maîtresse. Malgré que je n’eusse aucune idée decidée de beauté ni de laideur, sa figure, son air, son ton, et son langage me rebutoient : ses traits hommasses me demontoient toutes les fois que j’elevois les yeux à sa physionomie pour écouter ce qu’elle me disoit. Elle étoit grande, et grosse comme un soldat, à teint jaune, à cheveux noirs, aux sourcils longs, et epais. Elle avoit plusieurs longs poils de barbe au menton, un sein hideux à moitié decouvert, qui sillonnant lui descendoit jusqu’à la moitié de sa grande taille, et son age paroissoit de cinquante ans. La servante étoit une paysanne qui fesoit tout. L’endroit nommé jardin étoit un carré de trente à quarante pas, qui n’avoit de delectable que la couleur verte.