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coucher, et il devenoit brutal quand on vouloit le forcer. Il n’avoit ni autre esprit, ni autre raison que celle que le vin lui donnoit, au point qu’à jeun il se trouvoit hors d’état de traiter de la moindre affaire de famille. Sa femme disoit qu’il ne l’auroit jamais epousée, si on n’eût pas eu soin de le faire bien déjeuner avant d’aller à l’église.

Le docteur Gozzi avoit aussi une sœur agée de treize ans nommée Bettine, jolie, gaie, et grande liseuse de romans. Le pere, et la mere la grondoient toujours parcequ’elle se montroit trop à la fenetre, et le docteur à cause de son penchant à la lecture. Cette fille me plut d’abord sans que je susse pourquoi. Ce fut elle qui peu à peu jeta dans mon cœur les premieres étincelles d’une passion qui dans la suite devint ma dominante.

Six mois après mon entrée dans cette maison le docteur n’eut plus d’écoliers. Ils deserterent tous parceque j’étois le seul objet de ses attentions : et par cette raison il se determina à instituer un petit college prenant en pension des jeunes écoliers ; mais deux ans s’écoulèrent avant que cela put se faire. Dans ces deux ans il me communiqua tout ce qu’il savoit, qui à la verité étoit peu de chose ; mais assez pour m’initier dans toutes les sciences. Il m’enseigna aussi à jouer du violon, chose dont il m’arriva de devoir tirer parti dans une circonstance que le lecteur apprendra à sa place. Cet homme n’étant philosophe en rien me fit apprendre la logique des peripatéticiens, et la cosmographie dans l’ancien systeme de Tolomée, dont je me moquois continuellement l’impatientant par des théoremes, aux quels il ne savoit que répondre. Ses mœurs d’ailleurs é-